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En simple redingote grise et bicorne, Napoléon, le nouveau maître du monde.
Depuis qu’il a été sacré empereur le 2 décembre 1804 (la France commémore en 2004 le bicentenaire du sacre), Napoléon Bonaparte se comporte en monarque tout puissant, doté d’un orgueil prodigieux. Le souverain s’entoure dès lors d’une cour nouvellement créée qui entretient autour de sa personne une mystique impériale. Napoléon se sert de Paris comme d’une vitrine symbolique de sa gloire et de celle de son armée: l’arc de triomphe, la colonne Vendôme, la Madeleine, la rue de Rivoli voient le jour. Le Paris de Napoléon Ier, grisé de pompe et de succès, prend des allures martiales.
Après le sacre de 1804, il semblait tout naturel de représenter Napoléon en empereur romain. On assista alors à un véritable foisonnement d’images reproduisant le visage de l’Empereur. Les artistes, éblouis par l’éclat de son règne et désireux de s’attirer ses faveurs, rivalisèrent de talent pour tracer de lui une image olympienne, au front vaste et haut, aux traits purs et aux yeux perçants. Les peintres Isabey, Ingres, Vernet, Meissonnier et David, premier peintre de l’Empereur, accusèrent cette tendance, conforme d’ailleurs aux vouloirs du gouvernement qui avait placé dans tous les bâtiments publics un portait ou un buste officiel de Napoléon. Dans son tableau La Bataille d’Eylau, le peintre Antoine-Jean Gros (1771-1835) a laissé une des plus sublimes images de Napoléon, pâle et grave, visitant le champ de bataille. L’Empereur ayant longuement contemplé ce tableau au Salon de 1808, détacha de son habit l’étoile de la Légion d’honneur qu’il portait et la remit à l’artiste en le nommant baron de l’Empire.
La date du 15 août, jour de son anniversaire (il était né en 1768), devint pour un temps la Saint-Napoléon! Cette adulation avait commencé par une certaine retenue de sa part. Avec une modestie inhabituelle, l’Empereur avait réprimandé l’un de ses courtisans qui le présentait en Dieu des armées: «Je vous dispense de me comparer à Dieu; je veux croire que vous n’avez pas réfléchi à ce que vous écriviez!»
Napoléon s’était contenté d’abord de créer autour de sa personne un grand nombre de dignitaires combinant les titres honorifiques du saint empire de Charlemagne à ceux de l’Ancien Régime et de créer une noblesse d’Empire: ainsi Cambacérès était-il devenu archichancelier d’Empire; Eugène de Beauharnais, archichancelier d’État; Louis Bonaparte, archiconnétable; Murat, grand amiral; Duroc, grand maréchal du palais et Talleyrand, grand chambellan. En quelques années, Napoléon créa 42 nouveaux princes et ducs, 50 comtes, 1.550 barons et 1.500 chevaliers. Bien que cette noblesse impériale ait été parfois ridiculisée, elle créait une aristocratie basée sur le seul mérite, même si les titres étaient héréditaires. Jamais avant Napoléon Ier le talent n’avait été récompensé plus généreusement par un gouvernement et n’avait créé une aristocratie aussi liée au service de l’État.
Paris entre la Rome antique et l’Égypte des pharaons
Les nouveaux dignitaires se voulaient les héritiers de l’Empire romain, des empereurs, des conquérants et des sénateurs antiques! Leurs uniformes étincelants, les défilés militaires, les bals somptueux suscitaient chez les Parisiens une véritable mystique qui intoxiqua toute une génération. «Les soldats paradent dans les rues et maintiennent l’ordre; on révère tout ce qui est militaire», écrit un Anglais en visite à Paris. Une discipline militaire régnait sur les lycées d’État où proviseurs, censeurs et professeurs étaient astreints à porter l’uniforme comme l’étaient également les écoliers qui entraient ou sortaient au pas des salles de classe, au son du tambour et du clairon!
L’art lui-même fut affecté par cette folie martiale à laquelle s’unit une profonde admiration pour l’art égyptien mis à la mode en France au retour de la campagne d’Égypte de Napoléon. Le répertoire du premier Empire affectionne les formes sévères, impose des couronnes de lauriers, des glaives, des sphinx et des griffons. Les couleurs délicates, gris fins et bleus célestes du style rococo le cèdent au pourpre, au bleu nuit et au vert nil. En mythologie, Diane et Vénus font place à Jupiter et à Mars. Les femmes et les maîtresses des généraux d’Empire ne dorment plus que dans des lits à rideaux en forme de tente militaire.
Lorsque Napoléon et Joséphine s’installèrent au palais des Tuileries, ils ouvrirent la saison sociale avec des réceptions officielles et des banquets pour des centaines d’invités. Toutefois, des règlements draconiens gouvernaient la procédure adoptée à la cour impériale: «Quand Sa Majesté mange en public, le Grand Chambellan lui présente un large fauteuil, le Grand Maître du palais lui tend une serviette. À tous moments, les invités sont requis de garder leurs distances avec l’Empereur et doivent lui faire la révérence en entrant dans la pièce», raconte son valet Constant Wairy.
Les femmes somptueusement parées de bijoux et de plumes gravissaient le grand escalier de marbre et traversaient l’enfilade de salons. Joséphine, en robe de satin blanc, des perles et des bijoux dans les cheveux, attirait tous les regards. Elle dépensait sans compter pour ses toilettes avec l’approbation de l’Empereur qui considérait l’étalage de prodigalité à la cour comme une manifestation de pouvoir. Il encourageait Joséphine à se farder beaucoup et à se décolleter très généreusement, exigeant qu’elle ne porte pas deux fois la même toilette. Il fit remarquer un jour à la duchesse d’Abrantès: «Madame, vous avez porté cette robe plusieurs fois. Elle est très jolie, certes, mais nous l’avons déjà vue!»
Si la couturière Rose Bertin avait fait la pluie et le beau temps à la cour de Marie-Antoinette, à la cour de Joséphine, c’était un certain Leroy, «le Michel-Ange de la mode», qui lançait les styles. Ce précurseur d’Yves Saint Laurent avait été coiffeur avant la Révolution mais la guillotine l’ayant privé de têtes à coiffer, il se lança dans la mode où il connut un immense succès et devint le fournisseur officiel de l’impératrice.
Tout ceci était mené de main de maître par un génie au sens dramatique infaillible. En effet, avec un instinct admirable, Napoléon s’entoura de rois, de princes et de dignitaires créés par lui, qu’il aimait voir luxueusement vêtus alors que lui-même apparaissait souvent en simple redingote grise et petit chapeau. Le contraste entre le créateur et ses «créatures» en était d’autant plus flagrant!
Napoléon voulait faire de Paris non seulement «la plus belle ville qui soit mais aussi la plus belle ville qu’il puisse y avoir». La période révolutionnaire n’avait laissé à Paris aucun monument sinon la place de la Concorde en 1790; Napoléon, pour sa part, voulut en faire la capitale de l’Occident, une métropole parsemée de monuments grandioses. Il fut aidé dans ce projet par deux architectes, Pierre Fontaine et Charles Percier, et le préfet de Paris, Frochot. Sous leur triple impulsion, un ambitieux programme d’urbanisme fut lancé, préfigurant celui du baron Haussmann sous le Second Empire. Dès 1806, Paris se couvrit d’innombrables chantiers.
Mais l’utilité l’emporta d’abord sur la beauté et la grandeur. Le préfet Frochot réorganisa les services municipaux et le ravitaillement de la ville, il inaugura le cimetière du Père-Lachaise, sur les hauteurs de Belleville. On démolit les anciens bâtiments et les rues séparant le Louvre des Tuileries. On entoura les bras de la Seine d’un bracelet de ponts: le pont des Arts en 1803, le pont de la Cité en 1804, le pont d’Austerlitz en 1806 et le pont d’Iéna en 1813. Pour favoriser l’activité économique et sociale, on construisit des kilomètres de quais: quai d’Orsay, quai des Invalides, quai des Tuileries.
L’arc de triomphe
Les œuvres laissées par l’Empereur parlent à l’imagination. Elles étaient les temples du nouveau culte impérial. Mais l’Empereur voulait célébrer avant tout les victoires de la Grande Armée. «Vous ne rentrerez dans vos foyers que sous des arcs de triomphe», avait-il promis à ses soldats après Austerlitz. À son retour, le projet de l’architecte Chalgrin fut retenu: un arc de triomphe colossal «qui serait grand, simple et majestueux», sur le site d’une des anciennes portes de Paris, la barrière de l’Étoile. Cet emplacement fournissait une vue majestueuse des Tuileries et pouvait être vu de loin par tout visiteur entrant à Paris. «De plus, Votre Majesté y passera en route pour La Malmaison, Saint-Cloud, Saint-Germain et Versailles», fit valoir l’architecte.
Dépassant de loin le souhait de Napoléon que ce projet «puisse nourrir pendant 10 ans la sculpture française», à la date de 1810, il n’avait progressé que jusqu’aux fondations. Aussi fallut-il utiliser une maquette grandeur nature, faite de papier peint sur cadre de bois lors de l’entrée de Napoléon à Paris pour son mariage avec Marie-Louise d’Autriche, le 2 avril 1810. L’arc de triomphe que nous connaissons ne fut inauguré qu’en 1836 sous le règne de Louis-Philippe, époque à laquelle il fut décidé de graver les noms des généraux et des batailles de l’Empire sur le grand entablement: 660 généraux et 128 batailles y sont mentionnés. Le Soldat inconnu y fut inhumé le 28 juin 1921.
L’arc du Carrousel
En 1806, l’Empereur fit construire entre le Louvre et les Tuileries l’arc du Carrousel, appelé alors «arc de Marengo» (victoire de Napoléon en 1800) pour le distinguer de l’arc de triomphe, appelé «arc d’Austerlitz».
Cet arc constituait l’entrée d’honneur du palais des Tuileries. C’était une élégante imitation de l’arc de Septime Sévère à Rome. Sur les faces de l’édifice sont apposés six bas-reliefs en marbre relatifs aux victoires de l’Empereur. En 1809, il fut surmonté par un quadrige en bronze réalisé en l’an 300 avant notre ère et dérobé par les armées napoléoniennes au portique de la basilique de Saint-Marc à Venise, au cours de la campagne d’Italie. Les chevaux furent restitués à Venise en 1815 et remplacés par des copies.
L’église de la Madeleine
Pour compléter harmonieusement la rue Royale, la Madeleine restée inachevée depuis 1790 fut entourée de colonnes semblables à celles du Palais-Bourbon qui lui fait face. En 1806, Napoléon confia à l’architecte Pierre Vignon le soin d’en faire un temple à la gloire des armées françaises, marqué de l’inscription «L’Empereur Napoléon aux soldats de la Grande Armée». La Madeleine sera consacrée à la religion en 1842.
La colonne Vendôme
À l’emplacement de l’ancienne statue de Louis XIV renversée à la Révolution et qui ornait la place Vendôme, Napoléon décida d’ériger une colonne imitée de celle qui fut élevée à Rome à la gloire de Trajan et de la surmonter d’une statue de l’empereur Charlemagne. Toutefois, le projet évoluant, une colonne haute de 44 mètres fut érigée à la gloire des soldats vainqueurs à Austerlitz. Réalisée par 40 artistes, lourde de 250 tonnes, elle est faite du bronze provenant de la fonte des 1.250 pièces de canons et couleuvrines prises aux Russes et Autrichiens durant la campagne d’Austerlitz. Soixante-seize bas-reliefs en bronze se déroulent en spirale et représentent des scènes de la vie militaire durant la campagne de 1805. La statue de Charlemagne fut finalement remplacée par celle de Napoléon en empereur romain, couronné de lauriers et tenant en main un globe surmonté d’une Victoire.
L’Empereur commanda également la construction d’une large rue, partant du côté nord de la place Vendôme. À l’origine appelée rue Napoléon, elle est devenue la rue de la Paix. De nos jours, seule la rue Bonaparte sur la rive gauche est consacrée à Napoléon.
La rue de Rivoli
Napoléon demanda aux architectes Percier et Fontaine, organisateurs des fêtes du premier Empire, de construire à l’emplacement des jardins des couvents appartenant aux capucins et aux feuillants une artère reliant la place de la Concorde à la place du Palais-Royal, pour ouvrir une deuxième voie est-ouest et relayer la vieille rue Saint-Honoré, devenue trop passante. On lui donna le nom de rue de Rivoli, du nom de la victoire de Napoléon à Rivoli, les 14 et 15 janvier 1797 durant sa campagne d’Italie. Les architectes envisagèrent des arcades avec des magasins et des façades identiques des bâtiments. Ce projet de longue haleine dura jusqu’en 1835.
Le musée du Louvre
Décrétant que «tous les hommes de génie sont français», Napoléon s’assura habilement que les plus grands chefs-d’œuvre de l’esprit humain prennent la route de la France. C’est ainsi que statues, vases, tableaux, sculptures et manuscrits furent transportés par milliers au palais du Louvre transformé en musée Napoléon et placés sous la direction de Vivant Denon, qui l’avait accompagné en Égypte.
Lorsque Napoléon (qui n’était pas encore empereur) s’embarqua pour l’Égypte en 1798, il emmena avec lui 160 artistes, écrivains, savants, économes et ingénieurs pour étudier la civilisation égyptienne. L’un d’entre eux était un ami de Joséphine, le graveur Vivant Denon dont une aile du Louvre rappelle l’immense contribution. Son ouvrage Voyage en Haute et Basse Égypte fit sensation et les Parisiens se découvrirent une passion pour l’Égypte dont on retrouva partout les motifs: obélisques, pyramides et fleurs de lotus. Napoléon lui-même commanda un service en porcelaine de Sèvres décoré de scènes égyptiennes.
Paris se couvre de grands restaurants
La nouvelle aristocratie ne se contentait pas d’avoir des titres et du bien, elle se piquait d’avoir du goût et dépensait sans compter pour le prouver. De nombreuses sociétés dansantes, «mangeantes et buvantes» se créèrent à cette époque. Les plaisirs de la table furent à l’honneur sous le premier Empire et le propre grand chancelier de Napoléon, Jean-Jacques Cambacérès, fut surnommé «roi des gourmets». Par contre, Napoléon n’était pas gourmand: il déjeunait en dix minutes, dînait en trente de son plat préféré, les pâtes à l’italienne, arrosé d’un vin de chambertin coupé d’eau. Il mangeait si vite qu’il souffrait souvent d’indigestion, soulagée en suçant des pastilles de réglisse qu’il portait toujours sur lui dans un mouchoir.
En revanche, son amour du luxe donna l’élan à un faste de service auquel on n’était plus habitué. De nouveaux restaurants furent ouverts par les chefs des aristocrates guillotinés ou partis en exil. Peu après, Paris s’imposa comme capitale culinaire du monde. D’une cinquantaine en 1789, on recensait en 1815 plus de 3.000 restaurants, les plus connus étant ceux qui affichaient (alors une nouveauté!) le meilleur rapport qualité-prix comme le restaurant Aux Trois Frères Provençaux installé dans une galerie du Palais-Royal.
Un endroit très à la mode sous Napoléon Ier était Le Véry, premier grand restaurant à prix fixe situé dans la galerie de Beaujolais au Palais-Royal. C’est dans cet établissement qu’un garçon de café apporta en 1815 un pot de chambre à un officier prussien qui avait demandé du café «dans une tasse où aucun Français n’aurait jamais bu». Le célèbre peintre Fragonard qui habitait au-dessus du restaurant y mourut le 22 août 1806, à 74 ans, en mangeant une glace!
De cette époque date la célébrité du Véfour, devenu en 1850 Le Grand Véfour, fréquenté assidûment par Murat. Son invariable menu de vermicelles, poitrine de mouton et haricots ne semble avoir découragé personne. Le Véfour était l’ancien Café de Chartres, situé galerie de Valois.
À l’angle du boulevard des Italiens et de la rue Taitbout, le café Tortoni fut fondé en 1795 par le Napolitain Velloni, le premier marchand de glaces venu à Paris faire fortune. Son établissement devint en 1804 la propriété de Tortoni, son garçon de café, qui en fit un lieu de rendez-vous incontournable des boulevards.
Si on se battait sur les champs de bataille d’Iéna ou de Wagram, dans la capitale on se bousculait à Frascati, établissement au coin de la rue de Richelieu et du boulevard des Italiens. Cet endroit, mi-salle de bal mi-salle de jeux, avait été fondé par un autre marchand de glaces napolitain du nom de Garci. C’est en 1796 que ce dernier achète un ancien hôtel pour y ouvrir des salons élégants, des salles de bal ou de jeux à l’instar de ceux de Frascati à Naples. Son jardin, éclairé 1a nuit, formait une terrasse qui longeait le boulevard Montmartre depuis la rue de Richelieu jusqu’à la rue Vivienne. On s’y rendait pour boire, pour manger, danser et chercher fortune. La danse en effet n’était plus l’apanage de la noblesse. La bourgeoisie se prit de passion pour les bals publics dont le nombre se multiplia. On y dansait la gavotte, le quadrille et, depuis 1800, la «fricassée poissarde!».
Les Parisiens aimèrent Napoléon Ier pour tout ce dont il orna la capitale: nouvelles percées, nouveaux ponts, arcs de triomphe, bibliothèques, musées, écoles. Mais surtout, sous le premier Empire, les Parisiens profitèrent de toutes les occasions de se divertir, de s’étourdir et se grisèrent du spectacle factice d’une cour impériale au mélange baroque d’éléments romains et égyptiens. Toutefois, quelques années seulement conduisirent Napoléon Ier de l’apogée à la chute. L’édifice impérial qui paraissait si solide après Wagram se lézarda puis s’effondra sous la pression des défaites extérieures.
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