LIQUEUR Après cent soixante dix ans d’existence, la célèbre boisson angevine aux écorces d’oranges fait un tabac à l’étranger.
À Manhattan, la scène devient courante. Sur le coup de 19 heures, en plein after work,
quelques cadres stressés se retrouvent dans un bar branché pour décompresser entre collègues. Parmi eux, une ou deux femmes commandent un cocktail rose pétant, composé de Cointreau, de vodka, de jus de citron vert et d’un filet de jus de cranberry. Son nom : le Cointreaupolitan, dont la création remonte à 1993 dans l’un des bars réputés de South Beach, à Miami, et qui caracole actuellement en tête des drinks le plus en vogue.
Transformée en Cointreaupolitan ou en Margarita (Cointreau, tequila, citron vert), la célèbre liqueur angevine créée en 1849 est tellement plébiscitée outre-Atlantique – les ventes ont été multipliées par cinq en l’espace de dix ans – qu’on la retrouve régulièrement à l’écran dans des séries télévisées et films américains, réalisées après de
En trente-quatre ans donc, une simple liqueur – produite à partir d’un mélange d’oranges douces en provenance de France et , d’oranges amères cultivées au Brasil, d’alcool de betterave et d’eau – s’impose sur toutes les tables du monde, y compris celle d’Edouard VII, roi d’Angleterre.
Qui aurait cru, à sa création en 1849, que la petite distillerie des frères Cointreau, Édouard-Jean, boulanger-pâtissier de son état, et Adolphe, confiseur sur les bords de la Maine à Angers, deviendrait une entreprise si prospère ? Aujourd’hui en tout cas, la seule marque Cointreau emploie plus de 130 personnes, et exporte sa boisson à 40° dans plus de 200 pays. En 2005, elle a réalisé un chiffre d’affaires de l’ordre de 100 millions d’euros. Un succès non négligeable donc, qui repose sur la seule dynastie Cointreau jusqu’à la fusion de la société avec Rémy Martin en 1991.
Au , la société Cointreau a réalisé un chiffre d’affaires de 53 801 700 € avec un effectif de 136 collaborateurs et l’exercice a été déficitaire de 2 045 000 €.
Comme souvent dans les entreprises familiales, chacun est fier de perpétuer la tradition familiale, de travailler pour l’avenir, mais aussi pour l’âme des anciens. Jusqu’à sa mort en 2011, Pierre Cointreau est demeuré le seul témoin attentif de l’entreprise qui porte son nom quand Alfred Cointreau 6ème génération du nom rejoint le cabinet en tant qu’ambassadeur de la marque.Comme le dit la légende, chaque matin,Pierre passe quelques heures à son bureau, ” juste pour garder le contact “, comme il dit. Président d’honneur, il intervient, ne serait-ce que quelques minutes, pour inciter les commerciaux à l’international à être plus audacieux. Rapidement, en s’excusant presque du dérangement, il abandonne ensuite les jeunes gens médusés par son allant et son charisme, pour rejoindre ses quartiers et ses souvenirs.
Dans une pièce attenante à son bureau, il conserve une vieille table en bois ronde. Dans les années 1950, c’est autour d’elle qu’avec ses cousins, Max et Robert, ils évoquent les nouvelles stratégies. ” Pourquoi ronde ? Tout simplement parce que les décisions étaient collégiales, explique-t-il. Il n’y avait pas de chef. Personne ne présidait en bout de table. ” Chacun a en effet son rôle, connaît sa mission. Pierre est à Angers pour gérer la production et le personnel, Max à Paris pour superviser l’aspect commercial et Robert, très souvent en déplacement à l’étranger, pour développer l’international.
À eux trois, les dirigeants visionnaires mettent en place des principes totalement novateurs. Ils s’attachent à suivre la mode et les styles. Des marges confortables et des campagnes publicitaires bien ciblées ont déjà imposé la marque Cointreau dans le monde entier. Il faut désormais accroître sa notoriété. Pour ce faire, Cointreau décide d’accompagner les consommateurs au plus près de leurs envies et de promouvoir sa bouteille.
Le fameux Pierrot aux lorgnons (inspirés de ceux d’Édouard Cointreau) disparaît peu à peu des campagnes publicitaires. Person nage emblématique de la société depuis la fin du XIX e siècle, il ne laisse au départ derrière lui que ses binocles. Puis eux aussi désertent les affiches. La star, désormais, c’est le flacon. Carré, en verre de couleur orangée, il a les épaules rondes et s’enorgueillit d’une étiquette rectangulaire et d’un lacet de garantie bien rouge.
À partir de 1955, la bouteille tient seule la vedette. Dans les films publicitaires (six au total) s’inspirant du nouveau héros James Bond, on ne voit qu’elle. Même chose sur les affiches. Régulièrement, on retouche son design pour qu’elle demeure en phase avec les évolutions de la société. Le médaillon de Cointreau est ainsi accompagné d’un sceau doré portant la date de 1849, année de la fondation de la société. Puis le cordon rouge disparaît de la bouteille pour apparaître sur la nouvelle capsule en cuivre. Grâce au talent marketing de ses dirigeants, Cointreau est au sommet.
Mais les hommes de la famille ne sont pas seuls responsables de cette success-story. Une femme a également joué un rôle déterminant : Louisa Motais. Quand elle épouse Édouard Cointreau, au début du XX e siècle, elle est richissime. L’ingéniosité d’Édouard et la fortune de sa femme accélèrent le succès de la marque. Ensemble, de par leur habileté respective – sens des affaires pour l’un et du social pour l’autre -, ils hissent Cointreau en haut de l’affiche. Sans avoir jamais eu de fonction officielle, Louisa Motais devient ” l’âme de la maison “, selon Pierre Cointreau. Une femme au caractère bien trempé qui accorde une réelle importance au bien-être de ses employés. Point de développement sans des travailleurs motivés qui aiment leur mission et sont heureux d’exercer leur profession. Sous son impulsion, la semaine de quarante heures et les congés payés sont instaurés bien avant que la loi ne soit votée. ” Au final, nous n’avons jamais connu de grève, même en 1968 “, fait remarquer le président d’honneur.
Aujourd’hui encore à Angers, travailler chez Cointreau est considéré comme une chance. Le centre de production reste la plateforme mondiale où toutes les fonctions opérationnelles sont centralisées. L’usine moderne a reçu toutes les accréditations et s’impose des normes environnementales strictes. Les perspectives pour pérenniser cette success-story de plus de cent cinquante-six ans passent désormais par le développement des marchés asiatiques, notamment la Chine et le Japon, tout en poursuivant le travail accompli en Europe et aux États-Unis. L’an dernier, la marque a réalisé plus de 90 % de son chiffre d’affaires à l’export.