Quand l’art rencontre la nourriture
J’ai toujours aimé les natures mortes de l’artiste Paul Cezanne (1839-1906). Ils ramènent à la maison les plaisirs simples de la vie et, souvent, une profonde nostalgie d’un mode de vie perdu.
L’environnement peut être rustique dans beaucoup de ces peintures, mais les fruits jaillissent dans une éruption de couleurs et sont posés avec élégance, raffinement et fierté sur une serviette fluide tombant gracieusement sur le côté de la table, comme dans « La table de cuisine » (1888-90). Ou encore, dans « Bread and Eggs » (1865), le long pain et le bâton de la vie prennent place fièrement et noblement, amenant le spectateur à se sentir presque humble devant eux.
Cezanne est né et a grandi à Aix-en-Provence. Plus tard, il a représenté les fruits et les légumes de cette région luxuriante dans ses peintures, révélant dans l’œuvre achevée un profond respect pour ses sujets. En contemplant ces peintures, il n’est pas étonnant que la nourriture et l’art puissent être abordés avec les mêmes sentiments, comme c’était souvent le cas à l’époque des impressionnistes.
La seconde moitié du XIXe siècle a vu des changements rapides dans le mode de vie des Français. Les cafés se multiplient rapidement à Paris, mais aussi en banlieue. Les repas au bord de l’eau sont devenus très populaires. Les plaisirs de la table sont mieux connus et la société française les accueille avec enthousiasme.
Les artistes n’ont pas seulement cherché à capturer les changements sociaux en cours, mais ils y ont également participé. Ils hantent les cafés, où ils mangent, boivent, débattent vivement de l’art et trouvent des modèles. Et, comme le souligne Alexandra Leaf dans son livre très vivant sur le thème de l’art et de la nourriture, « The Impressionists Table » – Recipes & Gastronomy of 19th century France » (Publ. Rizzoli), Monet et les autres membres de l’équipe de Monet ne sont pas les seuls à avoir eu un rôle à jouer dans l’art de la table.
Une anecdote, parmi tant d’autres dans son livre passionnant, mérite d’être relevée : Lautrec « soutenait que pour bien contempler un tableau, il fallait avoir un verre à la main. Lautrec affirmait également que seul le vin pouvait accompagner un repas ; l’eau, disait-il, abîmait le palais. Il était si convaincu que Lautrec plaçait souvent sur la table des carafes d’eau contenant des poissons rouges vivants ».
Bien sûr, pour certains d’entre nous, buveurs d’eau invétérés, qu’est-ce que quelques poissons rouges ? Le livre très divertissant de Mme Leaf est rempli d’anecdotes de ce genre et vaut la peine d’être lu – rien que pour les menus de l’époque !