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Aujourd’hui, c’est un jour que j’attendais avec impatience mais aussi avec crainte. Partir à la retraite, quand on a tant aimé son travail, exécuté avec passion et endurance pendant cinquante longues années, ce n’est jamais facile. Certes, le repos est bien mérité. Mais on laisse derrière soi une vie de souvenirs enveloppée d’une certaine mélancolie, bien normale, du temps passé à apprendre, à expérimenter, à aimer son métier.

J’ai d’abord appris auprès de mon père car la cuisine est ancrée dans la tradition. Il était chef au restaurant du Grand Creux, à Bourg de Thizy, ancienne commune du Rhône qu’on appelle autrement aujourd’hui. J’ai passé une partie de mon enfance à observer mon père dans sa cuisine. Le métier de chef est bien davantage que la manipulation des fourneaux : il faut planifier les commandes et les menus, organiser la gestion des aliments, disposer d’un bon réseau de contacts pour l’approvisionnement, entretenir des liens avec les producteurs, savoir être proche de ses clients et de leurs attentes, et toujours garder le plaisir des nouvelles trouvailles et de l’expérimentation, entre autre. C’est un métier profondément humain, exigeant, où les cinq sens doivent être aux aguets en toute occasion. Au fil des années qui ont passé, de la cuisine de mon père dans les années 1960 à la mienne à Magog en 2022, j’ai vu comment ce métier s’est transformé à une vitesse incroyable.

À 15 ans, au début de l’année 1971, mon maître d’apprentissage Charles Bonnamy m’a pris sous son aile dans son restaurant de Morancé, au pays des pierres dorées. Après trois ans d’apprentissage, j’ai ensuite été formé dans certains des meilleurs établissements de la région lyonnaise, dont celui de l’illustre Paul Blanc à Thoissey et Orsi à Lyon, où rayonnaient les étoiles Michelin. C’était un temps où les installations étaient encore celles d’une époque ancienne, appelée à être bouleversée par le progrès technique dans les années suivantes. À Thoissey, le monumental fourneau, au centre de la cuisine, était encore au charbon. Il datait des années 1930 et faisait office de monolithe, véritable moteur de la cuisine qu’il fallait soigner méticuleusement et faire suer à grands renforts de charbon. Je me souviens du jour où il a fallu le changer. L’opération était délicate tant ce monstre était lourd, comme si il était enraciné dans le sol. Le chef Paul Blanc, un homme fier et dur, pleurait à chaudes larmes. Cette scène m’a profondément marqué. Je me formais en même temps qu’un monde nouveau remplaçait l’ancien, au prix des larmes de ses meilleurs artisans.

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Tout était si différent. On conservait le poisson à part sur de la glace fraîche. Les jours de congé étaient dédiés à la ferme, où nous allions tuer le cochon et recueillir le lait brut dans des bidons de 25 litres. Une fois en cuisine, nous faisions le travail de pasteurisation nous-mêmes, et nous récupérions la crème en surface. Il était encore possible d’aller pêcher la truite sauvage dans l’Azergues, rivière qui traverse les monts du Beaujolais. Il y avait encore du saumon dans la majestueuse Loire ainsi que des écrevisses. Il en allait de même pour les ramasseurs de champignons, nombreux, qui venaient cogner aux portes des cuisines, ou les chasseurs de gibiers avec leurs goûteuses prises : bécasses, lièvres, lapins de Garenne, perdrix, faisans…tout était directement vendu en cuisine après quelques palabres de circonstance.

En 1979, je suis devenu propriétaire avec mon épouse Marie-Claire de notre premier restaurant : La Terrasse, à Marnand, minuscule village en plein cœur de la région du Rhône. C’est là que la transition s’est opérée, sans retour en arrière possible. Le charbon a été remplacé par le gaz. Les techniques de cuissons lentes ont cédé le pas aux rapides. Les braisages, les cuissons à l’étouffée, tout cela a disparu progressivement mais rapidement en faveur de l’induction. Je me souviens de cet homme, Georges Pralus de Roanne, qui était venu m’enseigner dans mon restaurant une nouvelle technique révolutionnaire qu’il avait mis à point : la cuisson sous-vide. Aujourd’hui, c’est une pratique utilisée à l’international. Fait à noter, on remarque l’intérêt croissant pour un retour vers les cuissons lentes. Peut-être réalisons-nous que le développement de ces fabuleuses nouvelles techniques nous a aussi fait perdre quelque chose de plus terre à terre, un savoir qui est déterminé par la patience, l’observation.

En 1987, je quittais Marnand pour Lyon. Je devenais un jeune chef promu dans les ligues majeures, celles de la cuisine lyonnaise, aussi grandioses que cruelles. C’est là que le 17 novembre 1991, j’étais intronisé membre des Toques Blanches Lyonnaises, un grand honneur. En tant que chef du restaurant Au Petit Col, situé en plein centre de Lyon, je devenais garant d’un héritage culinaire bien précis, celui de la gastronomie lyonnaise, véritable chateau-fort de la cuisine française. En 1990, un an auparavant, j’avais remporté à Paris la troisième place du concours national Délices d’Or.

Chef de Lyon

Puis en 1992 j’ai travaillé comme chef à la haute direction de Dassault, le fameux aviateur français, à Istres en Provence. Un concours de circonstances, appelons cela le destin, fait que mon avenir était dorénavant lié à des compagnies d’aviation. Après avoir cuisiné chez Dassault pour plusieurs personnalités du monde politique et des affaires, tel que l’ancien Premier ministre français Pierre Bérégovoy, je quittais avec ma famille la France pour Montréal. À la veille de mes 40 ans, je recommençais une nouvelle vie avec mon épouse et partenaire de toujours, Marie-Claire, ainsi que mes deux enfants, Julien et Pierre-Luc.

Les premiers temps sur un nouveau continent ne sont pas les plus faciles. Mais j’ai persévéré et à partir de 1997, j’ai travaillé comme chef de cuisine pour la haute direction de Bombardier, au centre-ville de Montréal, puis comme chef personnel de celui qui a été longtemps le président de la compagnie, Laurent Beaudoin. J’étais alors bien loin du vieux fourneau à charbon de Thoissey. Ma carrière avait pris un tournant auquel je n’aurais jamais cru lorsque j’étais encore l’enfant de ma région natale, celle du Beaujolais, ses fermes, ses petits villages et ses nombreux trésors gastronomiques, certains bien connus, d’autres tenus secrets dans l’intimité des familles paysannes. Mais sans regret, j’avançais et je découvrais au Québec un endroit riche de son terroir et d’une beauté dont j’ignorais tout.

En 2013, à l’aube de mes 60 ans, je voulais vivre un dernier défi avant de me retirer. J’ai quitté mon poste auprès de la famille Bombardier pour me lancer, comme dans le bon vieux temps, dans un restaurant-traiteur afin de ressentir une nouvelle fois cette pression et cette exigence propre à la cuisine et au service. Encore une fois, Marie-Claire, sans qui rien de tout cela ne serait arrivé, était à mes côtés. Ensemble, nous avons mis sur pied Goût et Saveurs, et c’est ensemble, aujourd’hui, que nous partons à la retraite, après tout ce temps, ces hauts et ces bas. Quelle aventure ce fut!

Restaurant goût et saveurs
Nous voulons remercier tous nos clients et toutes les personnes avec qui nous avons travaillé au fil des ans. Vous qui nous avez fait l’honneur de vos commandes, vous qui avez fait un détour à notre boutique ou pris le temps de manger à table. Vous que nous avons rencontré au gré des repas, des services traiteurs. Vous qui nous avez offert, un jour, la chance d’une rencontre, d’une opportunité, d’un travail. Vous avec qui nous avons partagé. Je disais que le monde de la cuisine est profondément humain. Sans cette relation qui tisse les fils d’une expérience commune, nous ne serions pas là. Et c’est dans la reconnaissance et le sentiment du devoir accompli qu’aujourd’hui, avec une grande émotion, j’éteins mon fourneau pour la dernière fois.

Je vous remercie et vous salue chaleureusement,
Robert Junet
Chef de cuisine

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